Bertrand Francqueville, artiste-architecte et perspectiviste

• Pouvez-vous présenter votre parcours ?

J'ai un parcours que l’on pourrait qualifier d’hybride : formé en architecture, j'exerce depuis 25 ans le métier de perspectiviste. Mon travail consiste à réaliser des perspectives pour des architectes et archéologues, afin d’illustrer des projets urbains. Depuis quelques années, je me passionne pour le patrimoine et la transformation des lieux urbanisés. J'ai notamment travaillé au Danemark pour une agence qui requalifiait un ancien site portuaire. Mon rôle était de rendre ces projets compréhensibles à travers des dessins narratifs, des scénarios sous forme de bande dessinée. L'objectif est de créer des images compréhensibles par tous.

• Comment définiriez-vous votre démarche artistique et votre rapport à l'architecture ?

À la manière d'un peintre du XIX^e siècle, j’installe mon chevalet et dessine directement sur place. Je travaille avec une approche graphique basée sur deux couleurs : le noir (le présent) et le rouge (le passé). Ici, je superpose ainsi l'architecture actuelle du Havre avec son passé : les bâtiments, les espaces publics et les habitants de différentes époques coexistent dans mes dessins. Cette juxtaposition crée des situations surprenantes : un passant en trottinette croise un habitant de 1900 en charrette, un tramway contemporain côtoie son prédécesseur du début du XX^e siècle. Malgré une rupture architecturale évidente, des continuités existent : le tracé des rues, la persistance de certains bâtiments emblématiques comme l'église Saint-Michel ou la Bourse. Ces correspondances alimentent mon travail qui repose sur des archives et une recherche approfondie.

• Cette superposition entre passé et présent est au cœur de votre exposition. Comment se traduit-elle concrètement ?

L'exposition, visible dans le forum de l’Hôtel de Ville, présente six sites, chacun illustré par deux grands dessins, des archives et des vues 3D retraçant l'évolution du lieu. Il s’agit d’une immersion dans la vie quotidienne du Havre : des clichés immortalisent des scènes ordinaires, comme Claude François en concert, des photos de chantiers et des contributions d’habitants. Cette approche multiple met en lumière la richesse et la continuité de l’histoire urbaine. Une visite guidée et un atelier dessin auront lieu le 29 mars, permettant aux Havrais de poser leur propre regard sur la ville et d’exposer leurs dessins dans un espace d’expression libre.

• Quels sont les monuments présentés dans cette exposition ?

En juillet 2023, j'ai sélectionné trois sites intéressants pour ces superpositions : l'Hôtel de Ville, l'église Saint-Michel et Le Volcan. Avec la Ville du Havre, nous avons choisi trois autres lieux : le Muséum (dont la façade de l'ancien musée a été conservée), les Halles centrales et la Bourse (aujourd'hui le Pasino).

• Vingt ans après le classement du Havre sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, comment percevez-vous l’évolution du regard porté sur la ville et son architecture ?

Ce qui m’a le plus marqué, c’est l’ampleur des espaces publics et leur ouverture sur la mer et le port. Le classement à l’UNESCO a permis de changer la perception du Havre, aussi bien pour ses habitants que pour les visiteurs. L’extension de la ville, la mise en valeur des quais et des docks, et la présence du tramway ont transformé la perception du cadre urbain, c’est certain. 

• Quel message souhaitez-vous transmettre aux Havrais à travers cette exposition ? 

J’aimerais inviter les Havrais à prendre le temps d’observer leur ville, à lever les yeux et à apprécier ses détails. Du grain de sable pris dans le béton à la silhouette des porte-conteneurs, Le Havre est une ville à regarder autrement. J’espère que cette exposition contribuera à enrichir ce regard et à renforcer la fierté des Havrais pour leur ville.