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Culture

Ferhat Bouda, photographe berbère

Jusqu’au 18 mai, la bibliothèque universitaire propose « Imazighen. Berbères, une culture en résistance », plaidoyer documentaire sur une culture plurimillénaire en danger.

Publié le 16/04/2024

  • lehavre.fr : D’où vient l’urgence de consacrer une exposition à la culture berbère ?

Ferhat Bouda : La culture du peuple des Imazighen*, nom originel du terme occidental berbères, est très ancienne. Contemporaine des Pharaons, elle est aussi l’une des plus méconnues et menacées d’Afrique du Nord. Singulière et plurielle, elle s’étend sur un vaste territoire allant de la Mauritanie jusqu’à l’oasis de Siwa en Égypte, incluant le Maroc et l’Algérie. Ne s’inscrivant pas dans la logique des États-nations, les Imazighen et leur culture sont suspectés d’hérésie par les gouvernements nord-africains. Souvent opprimés, dispersés, voire persécutés, ils tentent de résister à l’acculturation et à l’oppression.

* Imazighen (Amazigh au singulier) – qui signifie homme libre – est le nom originel du terme occidental berbère.

  • lehavre.fr : Qu’est-ce qui rassemble des peuples a priori si éloignés géographiquement ?

F. B. : L’exposition est certes organisée par « pays » mais l’on ressent bien cette identité commune. Malgré des différences, les Imazighen partagent une organisation sociale démocratique, un lien indéfectible à la terre, le sens de la communauté, le rapport au sacré, l’hospitalité. Leurs traditions sont un ancrage face aux menaces de déracinement et d’anéantissement. En revendiquant haut et fort leur culture et leur langue, ils résistent contre l’assimilation et l’oubli.

  • lehavre.fr : Les femmes prennent une place importante dans votre exposition. Pourquoi ?

F. B. : C’est d’abord en raison de mon histoire personnelle. Mon père ayant quitté le village pour travailler, ma mère et ma grand-mère m’ont élevé. La femme est surtout la colonne vertébrale de notre culture. C’est aussi en observant ma grand-mère, devenue trop âgée pour les travaux des champs, regarder à la télévision des films en français ou en arabe que j’ai compris qu’il était injuste qu’elle n’ait pas de film dans sa langue, la seule qu’elle n’ait jamais apprise et pratiquée. De là est née mon envie de réaliser un film en langue amazigh.

  • lehavre.fr : Où débute votre parcours photographique ?

F. B. : Je pars en France en 2000 pour y faire des études de cinéma. En 2001, je me procure un appareil photo afin de développer mon langage visuel. Je réalise que la photo est la plus belle des langues puisque tout le monde peut la comprendre. Je n’ai pas pu réaliser de film mais la photo, et l’idée de parler des Berbères, est restée. À partir de 2010, mon peuple vit la guerre en Lybie, au Mali, puis les révolutions arabes. Je pars par mes propres moyens, photographiant ceux qui m’hébergent. J’ai conscience que ce travail est nécessaire car la disparition de notre culture n’est qu’une question de temps. Voyez ce qu’il est advenu des Aborigènes ou des Amérindiens.

  • lehavre.fr : Votre travail entrait alors dans l’actualité internationale…

F. B. : La presse ne manifestait, au début, que peu d’intérêt pour mes photographies. Au fur et à mesure que mon travail sur les Imazhigen s’affinait, j’ai témoigné de leurs conditions de vie difficiles, mes photos restant impuissantes à améliorer leur vie. J’ai alors eu l’idée de carnets. J’avais commencé à écrire un carnet de voyage, y ajoutant des mots, un dessin, des fragments de photos, une peinture... Je sais pertinemment que leur publication – un jour – ne modifiera pas non plus la vie des gens. Cependant, les dévoiler au public illustre la complexité de mes sentiments intérieurs et ceux de mes « modèles », comme le fait la centaine de photographies présentée au Havre.

  • lehavre.fr : Restez-vous optimiste ?

F. B. : Je suis et reste un rêveur. Si cette culture, comme tout autre d’ailleurs, venait à disparaître, ce serait une perte pour l’humanité. J’observe néanmoins des signes de renaissance. J’ai aussi confiance dans la jeunesse qui peut s’emparer d’outils comme internet et l’intelligence artificielle pour donner du souffle à la culture amazigh. Pour ma part, je continue d’explorer ses facettes, y compris à travers la diaspora mondiale.

Découvrir l'exposition
Bibliothèque universitaire, 25 rue Philippe Lebon
Du lundi au vendredi de 8h30 à 19h et le samedi de 10h à 18h (fermé le dimanche et les jours fériés)