Portrait
Culture

Bianca Bondi, artiste plasticienne : « J’ai puisé mon inspiration dans l’histoire du Havre »

Dans son exposition « Milk of Amnesia », l’artiste use et détourne les matériaux ainsi que des objets banals du quotidien pour leur insuffler une part de magie, de rêve et de mémoire. La découverte du Havre a donné le ton d’installations inédites, non dénuées de poésie et d’espoir.

Publié le 17/05/2024

  • lehavre.fr : Quel est votre parcours artistique ?

Bianca Bondi : Née en 1986 à Johannesburg, j’ai toujours été passionnée d’art. En 2007, j’ai suivi un Français par amour à Paris, ville de l’art par excellence, et poursuivi mon cursus artistique à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy. Plutôt peintre au départ, j’ai expérimenté d’autres médiums en tant qu’étudiante, notamment les installations. La présentation de quatre d’entre elles pour mon diplôme en 2012 a servi de déclic. Je me suis dès lors éloignée de la peinture pour me tourner vers des objets anciens que j’assemble comme des natures mortes. Contrairement à un tableau, mes installations composées de matières évolutives – instables, se décomposant ou disparaissant – permettent au spectateur d’être dans l’œuvre et de saisir que rien ne perdure.

  • lehavre.fr : Comment avez-vous trouvé l’inspiration pour cette exposition ?

B.B. : J’ai cherché au Havre ce qui pourrait être capturé et transmis. J’ai entendu parler de la route des épices et donc du rôle qu’avait joué le port dans le commerce fondé sur l’exploitation des hommes. J’avais déjà travaillé sur l’alimentation et en particulier les épices qui me fascinent. Avant de devenir purement culinaires, elles étaient utilisées pour élaborer des remèdes, des parfums, des substances rituelles ou magiques. Pour mes installations, j’ai déversé une tonne de sel, bien connu pour son effet de guérison. Il entoure un ancien cabinet brûlé. Le contraste puissant entre le blanc et le noir convoque l’histoire de l’ivoire et de l’ébène, et donc un passé sombre lié à l’esclavage. Le noir, c’est aussi la destruction du Havre, le thème du bombardement étant très actuel dans le contexte géopolitique.

  • lehavre.fr : Les objets que vous choisissez sont banals, quasi universels. Pourquoi ?

B.B. : L’art est toujours très ancré dans l’actualité comme dans la vie quotidienne. Ce sont des objets qui parlent à chacun. En les détournant, j’évoque la relation que chacun peut avoir vécue avec eux et l’évolution de leur usage dans nos vies. Le placard noir n’a-t-il pas été une cachette pour tous les enfants avant de ne devenir qu’un simple meuble d’entreposage ? En brûlant un cabinet pharmaceutique, la croix rouge qui habillait sa porte prend la forme d’un crucifix, rappel des guerres de religion qui ont aussi vu s’affronter ici catholiques et protestants. Un autre cabinet marqué « épices » s’est transformé en une sorte d’autel, allusion à l’esclavage. Je m’attache à créer de la poésie sans oblitérer le passé…

  • lehavre.fr : Comment la présence de l’occulte y contribue-t-elle ?

B.B. : Dans nos moments de traumatisme, on s’ancre souvent dans quelque chose qui nous dépasse. Il faut croire pour s’échapper. En s’aidant d’outils invisibles, on peut aussi se confronter à la réalité. Rêver peut aussi permettre de s’échapper pour revenir plus fort. C’est en tout cas mon expérience. On notera lors de la visite la présence d’allusions fantomatiques, à une suspension entre deux états ou époques, entre oubli et mémoire.

  • lehavre.fr : D’où vient alors le fait que vos installations restent pleines d’espoir ?

B.B. : De la nature ! Les plantes qui habitent les œuvres symbolisent une forme de résilience. Il suffit de penser aux arbres qui, en recouvrant tout de leurs racines, agissent comme des guérisseurs. Une simple fleur posée dans un cabinet brûlé suffit à apporter légèreté et l’espoir d’une renaissance.

Infos pratiques
Exposition « Milk of Amnesia »
Jusqu’au 9 juin au Portique, Centre régional d’art contemporain du Havre - 30 rue Gabriel Péri
Du mardi au dimanche de 14h à 18h, entrée libre et gratuite
Nocturne le 18 mai à l’occasion de la Nuit européennes des musées
Visites commentées et adaptées à tous les publics, et ateliers de pratique artistique, par groupe : réservation sur leportique.org