Entretien
Culture

30 ans des Gouzous : interview de Jace

Trente ans qu’il apparaît dans des lieux plus ou moins secrets, créant parfois l’étonnement, souvent la surprise, toujours le bonheur à la découverte de son allure rebondie identifiable entre tous. Le « Gouzou » souffle en 2022 ses trente bougies. Depuis sa naissance, il a fait le tour du monde, participé à de grands événements, joué à la chasse avec les Havrais et les touristes depuis 2017. Rencontre avec Jace, son papa, Havrais d’origine et Réunionnais d’adoption.

Publié le 08/07/2022

  • lehavre.fr : Les trente ans du Gouzou, ça se fête ?

Jace : Plusieurs choses sont prévues. Dans les plus importantes, deux expositions seront présentées : l’une à la galerie Hamon au Havre cet été, intitulée « Nos amis les bêtes », et l’autre à la galerie Mathgoth, à Paris en fin d’année. Mais, surtout, j’ai prévu trois mois « off », durant lesquels je vais tracer la route, voyager et prendre le temps de vivre et de peindre où bon me semble.

  • lehavre.fr : Comment est né le premier Gouzou ?

Jace : Le Gouzou est né en 1992 sur l’île de La Réunion à la suite d’une constatation : mes graffitis ne se démarquaient alors pas assez de ce qui se faisait et était proposé par d’autres graffeurs. Je souhaitais réaliser un visuel impactant, reconnaissable entre mille et détectable au moindre regard en passant en voiture.

  • lehavre.fr : D’où vient son nom ? Et le vôtre ?

Jace : Le terme « Gouzou » vient des années lycée. Nous étions une bande de potes et l’un d’entre nous, qui venait du sud de la France, appelait les gens les « Gouzous ». Je l’ai conservé en mémoire de cette époque. Quant à « Jace », c’est l’anagramme des initiales de mon nom de famille et de mes prénoms, à la sauce américaine.

  • lehavre.fr : Pensiez-vous alors qu'il deviendrait votre "signature" ?

Jace : Je vous avoue que je n’aurais JAMAIS imaginé qu’il serait le centre d’intérêt d’un article dans le magazine de la Ville du Havre, 30 ans après ! À l’époque, aucune perspective d’avenir n’était envisagée en peignant dans la rue. Les seules retombées qu’on pouvait espérer, c’était des amendes, condamnations et autres embrouilles…

  • lehavre.fr : Le Gouzou fait l’unanimité. Vous attendiez-vous à un tel succès, autant créatif qu'affectif ?

Jace : Rapidement, j’ai senti que le grand public s’attachait à ce petit personnage. Certainement de par sa silhouette plutôt sympathique - on a envie de le serrer entre ses bras - et par ses messages plutôt absurdes, comiques. Initialement, je n’aurai jamais pensé non plus pouvoir développer un tel univers, avec autant de contraintes graphiques !

  • lehavre.fr : Quel serait votre Gouzou préféré ?

Jace : Celui qui vivrait en parfaite harmonie avec la Terre, car c’est une utopie qui m’anime au quotidien.

  • lehavre.fr : Celui que vous avez graffé dans l'endroit le plus improbable ?

Jace : Certainement sur le site de Tchernobyl, où je suis resté trois jours et y ai peint 26 Gouzous différents.

  • lehavre.fr : Celui que vous rêveriez de faire ?

Jace : Je maintiens mon rêve de peindre un jour sur la Lune ! Par défaut, je veux bien m’arrêter sur une étoile en cours de route.

  • lehavre.fr : Ce Gouzou, c'est vous ?

Jace : Oui, c’est forcément inconsciemment un peu de moi, mais aussi un peu de chacun de nous. Ce que chacun veut bien y voir. Je laisse un champ d’interprétation possible dans chacune de mes peintures et je suis d’ailleurs surpris, parfois, de ce que le public peut y voir !

  • lehavre.fr : Le Gouzou est-il une étape vers une autre forme d’expression de votre art ?

Jace : Le Gouzou est une base, un fil conducteur avec lequel j’aime m’amuser. Depuis 30 ans que je le « traîne », je n’ai toujours pas réussi à m’en lasser car je le décline dans différents endroits sur différents supports, ce qui fait qu’aucun ne ressemble à un autre ! Quand il m’arrive (rarement) d’être en manque d’inspiration, je vais, tel un chercheur, explorer de nouvelles pistes qui viennent ensuite enrichir mon répertoire graphique.

  • lehavre.fr : Le Gouzou peut-il être un symbole écologique ?

Jace : C’est toujours flippant et prétentieux de revêtir ce genre de rôle. Donc, je renonce à ce titre. Le Gouzou est plutôt acteur d’un mouvement citoyen, qui est sensible et conscient du réel problème écologique de notre planète. S’il peut apporter sa pierre à l’édifice et éveiller les consciences des plus jeunes, j’en serai flatté !

  • lehavre.fr : De quels autres graffeurs admirez-vous le travail ?

Jace : Je vais éviter le name dropping (ndlr : lâcher de noms) au risque d’en oublier et de blesser les sensibilités des uns et des autres. Mais ceux dont j’aime le travail le savent et il y en a plusieurs au Havre…

  • lehavre.fr : Avec quel autre graffeur aimeriez-vous réaliser une fresque ?

Jace : Je rêverais de rencontrer les Os Gemeos du Brésil, même sans forcément peindre avec eux. Juste avoir l’opportunité de discuter et d’échanger avec eux serait déjà un beau moment.

  • lehavre.fr : Quel(s) regard(s) posez-vous sur l'évolution du graff dans le monde de l'art ?

Jace : Le street art s’est immiscé ces dernières années dans le marché de l’art, créant de belles surprises en matière de ventes. Dans la rue, de plus en plus de choses se passent. Mais malheureusement, je trouve que la quantité a pris le dessus sur la qualité et surtout sur l’originalité ! De plus en plus de personnes se copient les unes les autres en toute impunité, créant un énorme truc monotone et sans saveur. Le street art est devenu un gros fourre-tout, dans lequel on range tout et n’importe quoi !

  • lehavre.fr : Le graff sort de la rue et intègre de plus en plus les galeries d’art et les musées…

Jace : L’effet positif est que de plus en plus d’artistes peuvent vivre de leur travail. Je suis le premier à en être ravi. Ils peuvent donc se focaliser complétement sur leur production et ne sont plus obligés d’avoir un travail alimentaire en parallèle. Malheureusement, la montée des prix engendre une spéculation sur les œuvres réalisés dans la rue. De nombreuses pièces peintes gratuitement dans la rue – et pour le plaisir du plus grand nombre - finissent entre les mains de quelques personnes avides de profit, essayant de revendre le produit de ce qui est pour moi un VOL.

  • lehavre.fr : Bientôt un Gouzou au Louvre aux côtés de la Joconde ?

Jace : Pourquoi pas, mais il sera là pour lui jeter des tomates !

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