Entretien
Culture

La Seconde Guerre mondiale vécue par Micheline Lemonnier

"J’avais 14 ans en 1944."

Alors jeune fille, Micheline Lemonnier se souvient de la période 1939-1945 qu’elle a passée au Havre. Une période qui a changé sa vie.

Publié le 02/09/2024

  • lehavre.fr : Vous étiez une enfant en 1939. Vous souvenez-vous bien des événements d’alors ?

Micheline Lemonnier : Comme si c’était hier ! Nous étions à la plage avec ma mère et ma sœur cadette. Nous avions une petite cabane. Soudain, mon père est arrivé en s’écriant "la guerre est déclarée !". Nous sommes rentrés à la maison en hâte. Ensuite mon père a été mobilisé. Puis il est revenu au moment de l’Occupation. Quant à nous, nous avons vécu l’exode vers Beuzeville, dans l’Eure. Ma sœur et moi avions pu y être conduites en véhicule mais ma mère a parcouru la distance à pied ! De retour au Havre, je me souviens du bruit de bottes des Allemands que je trouvais très disciplinés.

  • lehavre.fr : Quelle a été l’influence de l’Occupation du Havre sur votre vie ?

M.L. : Mes parents tenaient une entreprise de couverture-plomberie et vendaient des salles de bain. Ils avaient peu de temps à nous consacrer. J’étais en pensionnat à Sainte-Anne, près de notre appartement du quartier Holker. Pour moi qui m’amusais de tout, cette période n’a pas été malheureuse. Notre vie était presque normale, si l’on exclut le ravitaillement. On manquait de lait, de viande, de chocolat, même si comme beaucoup nous nous approvisionnions aussi au marché noir. Le plus compliqué, c’était les bombardements. C’est pourquoi nous avions trouvé une toute petite maison, près de la voûte d’Harfleur, où nous nous réfugions le soir. Parfois aussi, en cas de bombardements intenses, nous allions dormir rue Fénelon chez des personnes qui nous prêtaient leur appartement. Nos déplacements, c’était à pied ou à trottinette…

  • lehavre.fr : Quel a été le plus grand drame de cette période pour vous ?

M.L. : Le décès de papa. Il est mort lors d’un bombardement, alors qu’il se trouvait dans un abri du jardin Holker et qu’il aidait des personnes à y accéder, faute d’escalier. Une bombe anglaise l’a tué ainsi qu’une douzaine d’autres personnes. Ma mère avait réussi à sortir par l’autre accès. Quand je pense que mon père, qui avait 40 ans, se réjouissait de la fin prochaine de la guerre.

  • lehavre.fr : Quels souvenirs avez-vous de la Libération ?

M.L. : J’étais chez des membres de ma famille à Ourville-en-Caux, près de Valmont. Nous sommes revenues dans un camion qui puait le gasoil et qui nous a déposées à la gare, près de chez nous. Je ne me souviens pas avoir subi le choc de la destruction de la ville. En revanche, je me rappelle que les Américains m’avaient effrayée. Une fois, alors que nous étions dans le quartier des Ormeaux, ils nous ont coursées pour nous faire peur. Ils s’amusaient, mais j’ai eu tellement la frousse que j’ai grimpé à toute vitesse les escaliers menant au Fort de Tourneville !

  • lehavre.fr : Comment la vie a-t-elle repris son cours pour vous et votre mère devenue veuve ?

M.L. : Ma mère a repris le travail mais la tenue d’une entreprise n’était pas dans ses cordes. Elle a revendu et ouvert une librairie en bas de notre immeuble. Cela n’a pas bien fonctionné car on n’arrivait pas à avoir beaucoup de journaux. Au moins, nous avions encore notre immeuble. De mon côté, j’ai repris ma scolarité que j’ai arrêtée à 15 ans pour trouver du travail. J’ai eu la chance d’être embauchée au Remembrement du Havre, qui dépendait du ministère de la Reconstruction. Nous recevions les gens qui nous donnaient leurs titres de propriété et tout cela suivait un circuit fastidieux. J’étais aux fichiers. Il y en avait des fiches car c’était grand Le Havre ! En revanche, j’ai beaucoup aimé travailler au contact des géomètres et architectes. J’ai rencontré Auguste Perret, sans faire sa connaissance. Par contre, j’ai mieux connu Jacques Tournant, son adjoint, qui était charmant. J’ai travaillé 16 ans au Remembrement, puis je suis devenue mère au foyer à la naissance de mon troisième enfant.

  • lehavre.fr : Que ressentez-vous lorsque vous reparlez de cette époque ?

M.L. : C’était une période difficile et j’ai perdu le papa que j’aimais tant. Tout est resté gravé car ce sont des choses qu’on ne vit pas deux fois. J’ai eu plaisir à évoquer mes souvenirs auprès de l’association Passerelle de mémoire, pour leur film sur la Libération du Havre. Je suis également en train d’écrire un livre pour que les souvenirs restent.