Entretien
Culture

Sylvie Aubenas : "C'est au Havre qu'a été inventé un procédé capable de saisir fidèlement le mouvement"

Conservatrice générale de la Bibliothèque nationale de France, commissaire scientifique de l’exposition "Photographier en Normandie (1840-1890). Un dialogue pionnier entre les arts"

Faisant le lien entre le développement de la photographie et les expérimentations de la peinture impressionniste, le Musée d’art moderne André Malraux met en lumière des œuvres illustrant le dialogue entre peintres et photographes, singulièrement en Normandie et au Havre.

  • lehavre.fr : Comment avez-vous été associée à la conception de l’exposition ?

Sylvie Aubenas : Diplômée de l’École nationale des Chartes, j’occupe depuis 2007 la direction du département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France. J’ai toujours souhaité me spécialiser dans la photographie ancienne. En 2004, à l’occasion de l’exposition "Vagues" organisée par le MuMa, nous avions prêté des estampes japonaises et des photographies. J’ai fait la connaissance d’Annette Haudiquet, alors directrice du musée. Notre collaboration s’est poursuivie lors d’expositions comme "Le cercle de collectionneurs havrais" au Palais du Luxembourg ou "Impression(s) soleil" au Havre, ou à l’occasion de prêts pour d’autres expositions. Avant de quitter son poste, elle m’avait parlé de ce projet dans le cadre de la manifestation Normandie Impressionniste.

  • lehavre.fr : Comment s’est organisée l’exposition ?

S.A. : En un temps resserré ! C’est seulement depuis janvier 2023 que les commissaires scientifiques (Sylvie Aubenas, Benoît Eliot, Dominique Rouet, ndlr) se sont mobilisés pour concevoir le parcours et identifier les œuvres. Comme nous nous entendions très bien, tout a été fluide et nous avons pu partir de nos collections respectives tout en allant à la découverte d’autres sources possibles, dans les institutions normandes particulièrement. Nous avons même bénéficié de coups de pouce du destin.

  • lehavre.fr : C'est-à-dire ?

S.A. : Des albums de photographie, en lien direct avec notre sujet ont été présentés lors de ventes, comme les albums personnels d’Alfred Coulon qui illustrent à merveille l’attrait que la Normandie a exercé sur les photographes amateurs du Second Empire. Leur acquisition a contribué à diversifier notre présentation. Il s’agit de documents inédits, au même titre que certains tirages jamais montrés auparavant comme des vues d’Harfleur et de Caudebec-en-Caux, des daguerréotypes (procédé photographique positif direct consistant à fixer l’image sur une plaque de cuivre) du château de Falaise ou de la plage de Sainte-Adresse par Hippolyte Fizeau. Plus généralement, les quelque 200 œuvres exposées ont été sélectionnées pour leur importance et leur pertinence. Elles montrent au plus large public que les débuts de la photographie en France ont aussi été normands et qu’il existe ainsi une représentation très précoce et très variée de la Normandie en photographie : portraits, paysages, architecture, métiers, scènes balnéaires…

  • lehavre.fr : Quels étaient les liens entre photographie et peinture à cette époque ?

S.A. : Plusieurs fois déjà des expositions ou des études ont évalué la relation entre photographes et peintres. Nombre de ces derniers ont d’ailleurs eu une relation singulière à ce nouvel art qu’ils ne pouvaient ignorer. En effet, dès son apparition en 1839, la photographie envahit l’espace public et visuel. Des influences réciproques en matière de sujets ou de lieux sont évidentes. Quelque 180 ans plus tard, nous avons souhaité montrer qu’en Normandie, au début de la photographie, les circonstances étaient réunies pour que la pratique se développe particulièrement dans cette région. La proximité avec Paris, alors capitale mondiale des beaux-arts, mais aussi avec Londres, a joué. Peintres et photographes se sont naturellement tournés vers la Normandie. Plusieurs œuvres picturales majeures sont donc accrochées en regard des tirages présentés.

  • lehavre.fr : Quelle place a tenu Le Havre ?

S.A. : De nombreux photographes – havrais ou non – ont évidemment été attirés par le décor qu’offraient la mer, la plage, les chantiers, la vie portuaire. De plus, c’est au Havre, dans les ateliers de la jetée nord, qu’a été inventé un procédé capable de saisir fidèlement le mouvement. C’est donc bien ici qu’est née la photographie instantanée !

Informations pratiques
Exposition jusqu’au 22 septembre
Du mardi au vendredi de 11h à 18h, les samedis et dimanches de 11h à 19h 
10€ / 6€