« Nos héroïnes incarnent nos valeurs. »
Publié le 12 novembre 2025
Le duo Catel & Bocquet présente son exposition « Les Clandestines de l'Histoire » à la médiathèque Léopold Sédar Senghor. Pionniers du roman graphique biographique féminin, ils reviennent sur leur collaboration et leur mission : faire entrer les grandes figures féminines oubliées dans la mémoire collective.
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Comment est née votre collaboration et comment s'organise votre travail à deux ?
Bocquet : Tout a commencé il y a 25 ans. J'étais journaliste et j’ai été frappé par la série Lucie de Catel. C'était la première fois que des femmes dessinatrices racontaient un personnage féminin contemporain. Une semaine après avoir publié mon article, nous nous sommes croisés à Angoulême. L'envie de collaborer est venue naturellement. Dans mon travail, je me documente, j'écris le scénario sous forme de continuité dialoguée, puis je le mime à Catel, qui commence le storyboard.
Catel : J'avais les bandes dessinées de Bocquet et ses romans dans ma bibliothèque. Je travaillais sur des scénarios pour la télévision, des histoires contemporaines. Bocquet maîtrisait l’Histoire. On s'est dit qu'on pouvait associer nos talents pour raconter des parcours de femmes dans l'Histoire. De mon côté, je fais des recherches visuelles, je crayonne à partir de documentation iconographique, puis je retravaille sur table lumineuse et à l’ordinateur. Pour Joséphine Baker, nous avons beaucoup voyagé... C'est une manière pour moi de m'imprégner d'une atmosphère que je restitue ensuite dans le livre.
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Qu'est-ce qui vous a donné envie de consacrer vos œuvres à des figures féminines ?
Catel : Au départ, j'écrivais sur des femmes simplement parce que j'en suis une, comme les hommes écrivent sur des héros. Avec Bocquet, nous sommes tombés sur les mémoires de Kiki de Montparnasse, Souvenirs retrouvés. Tout le monde connaît la photo, Le Violon d’Ingres, cette femme de dos devenue la carte postale la plus vendue au monde, mais personne ne savait qui elle était.
Bocquet : Sans nous en rendre compte, avec Kiki de Montparnasse en 2006, nous avons créé un genre : la biographie en bande dessinée. Nous avons même inventé le terme « biographique ». Puis nous avons conscientisé notre démarche avec Olympe de Gouges. Au début des années 2000, elle était méconnue, sauf pour quelques agrégés d’Histoire. Il n’y a pas de plan marketing dans nos choix : des idées germent dans un coin de notre esprit et refont surface au moment opportun. Pour Joséphine Baker, c’est l’un de ses fils qui nous a contactés après avoir lu Olympe de Gouges. Pour Anita Conti, nous venions de nous installer à Fécamp. En regardant l’océan, nous avons eu envie de parler d’écologie et de cette première océanographe.
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Parmi toutes celles que vous avez mises en lumière, laquelle vous a le plus marqués ?
Catel : C'est comme si vous nous demandiez laquelle de nos filles nous préférons ! Nous les aimons toutes, chacune à sa manière. Nous nous sommes investis corps et âme pour chacune d’elles, car leur combat, leur énergie et leur passion nous ont profondément touchés. Ce ne sont pas des femmes parfaites, loin de là. Elles ont du caractère, parfois de la colère ou de la violence, et c’est justement cette complexité que nous cherchons à montrer.
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Votre démarche est-elle aussi une manière de réparer la mémoire collective ?
Bocquet : Absolument. Au début, c’était inconscient, mais nous avons vite compris que cela fonctionnait. Nos livres sont désormais intégrés aux manuels d’Histoire et de cinéma. Quand nous avons publié Olympe de Gouges, sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne était introuvable. Les choses ont beaucoup évolué depuis. Avec Anita Conti, nous avons reçu le prix Bande dessinée de l’Académie de Marine. Elle-même avait vu sa candidature refusée à l’Académie, car les femmes n’étaient pas admises. Ce prix, d’une certaine manière, répare une injustice.
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Que découvriront les visiteurs dans l’exposition « Les Clandestines de l'Histoire » ?
Catel : C'est une sorte de résumé de notre travail. Pour chaque personnage, il y a une grande page de présentation sur la thématique qu'elle incarne, accompagnée de trois planches de BD.
Bocquet : Un professeur de philosophie nous a fait remarquer que nos héroïnes incarnent des valeurs. Kiki représente la liberté, Olympe l'égalité, Joséphine la fraternité, Alice la créativité et Anita la responsabilité envers la planète. C'est notre panthéon de valeurs. Il y a plusieurs niveaux de lecture et ça permet aux jeunes de réfléchir et de discuter.
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