« "Face à la mer", entre horizon et espace contraint. »
Publié le 3 décembre 2025
Photographe et vidéaste, Grégoire Korganow présente « Face à la mer » à la bibliothèque universitaire jusqu’au 19 décembre. À travers les images et les sons d’une traversée de cinquante jours à bord d’un porte-conteneurs, l’artiste interroge le rapport à la mer, à la solitude et aux espaces restreints.
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Vous avez longtemps été photojournaliste. Quel chemin vous a conduit vers cette nouvelle forme d’expression ?
J’ai commencé au début des années 1990 quand le photojournalisme connaissait encore une forme d’âge d’or avec une vraie écriture, des sujets au long cours et des déplacements incessants. Puis le numérique a bouleversé la presse et la photographie. J’ai alors choisi la photographie documentaire, qui permet de sortir du cadre strict des médias pour raconter autrement, dans des musées, des livres, des expositions. Depuis, je développe des projets au long cours, plus introspectifs, comme mes séries sur les prisons ou la relation père-fils.
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Votre parcours croise souvent des lieux d’enfermement ou de contrainte. Qu’est-ce qui vous attire dans ces espaces ?
J’aime comprendre comment la condition humaine s’y déploie, comment l’individu s’invente une liberté là où tout semble limité. La prison, le navire ou l’hôpital sont autant de micro-sociétés où se rejouent les rapports d’autorité, la solidarité et la solitude. À bord du porte-conteneurs, chacun façonne la possibilité d’un avenir : économiser pour un appartement, préparer un retour, entretenir un rêve. Ce sont des existences suspendues entre deux rives.
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Comment est née cette traversée ?
En novembre 2023, j’ai embarqué sur un porte-conteneurs français, au Havre, pour une résidence d’artiste de la Villa Albertine. Pendant cinquante jours, nous avons navigué du Havre aux États-Unis, puis traversé le canal de Panama jusqu’à l’Australie. Ce fut une lente odyssée, à la vitesse d’une bicyclette, au rythme du bateau et des marins, sans ennui, sans heurt. La mer impose un rythme lent et régulier. Très vite, on s’imprègne de la routine du bateau, du silence et de la lumière changeante. C’est un temps suspendu, un voyage intérieur autant qu’extérieur. Chaque jour, je regardais la mer pendant des heures durant, sans voir le temps passer. Ce n’était ni un choc carcéral, ni un dépaysement, mais un apaisement, une parenthèse ouverte sur l’infini.
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Qu’avez-vous voulu restituer à travers votre exposition ?
« Face à la mer » propose une immersion visuelle et sonore, soit une quarantaine d’images avec des formats très variés, de l’immensité de l’horizon à l’intimité des cabines. Les textes – fragments de carnets, paroles de marins – prolongent cette expérience du temps étiré. Avec la scénographie de Bernard Bréchet et la curation de Mélanie Roger, nous avons cherché à recréer le « dedans » du bateau et le « dehors » de la mer, un espace à la fois clos et ouvert, où le regard se perd et se ressource.
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Pourquoi avoir choisi Le Havre pour cette première présentation ?
Parce que tout a commencé ici. J’ai embarqué au Havre et j’y reviens pour montrer ce que j’y ai vu. La bibliothèque universitaire s’est imposée naturellement : son architecture, ses volumes et son lien avec le monde maritime en font un lieu idéal. C’est une exposition qui résonne avec le territoire, avec cette ville tournée vers le large.
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Ce travail s’inscrit aussi dans un projet plus vaste…
Oui, c’est le premier chapitre d’un cycle inspiré de L’Odyssée d’Homère. Après « Face à la mer », je travaille sur un second volet consacré à la migration : comment les traversées contemporaines prolongent les récits anciens du voyage et du retour. L’odyssée reste, aujourd’hui encore, une métaphore puissante de la condition humaine.
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