« La reconstruction du Havre est un modèle de mise en œuvre et de restauration du béton armé. »
Publié le 23 septembre 2025
Vice-présidente de la Fondation Auguste Perret, Christiane Schmuckle-Mollard a aussi contribué à l’inscription du centre-ville reconstruit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 2005. Vingt ans plus tard, elle revient sur l’importance de l’œuvre d’Auguste Perret et sur l’héritage architectural du Havre.
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Pouvez-vous présenter votre parcours d’architecte ?
Architecte DPLG (Diplômé par le Gouvernement) en 1970, j’ai ensuite étudié l’urbanisme à l’Université technique de Munich puis la conservation des monuments anciens à l’École de Chaillot. Quelques années plus tard, j’étais la première femme à présenter le concours d’architecte en chef des monuments historiques et j'ai exercé cette fonction jusqu’en 2013. J’ai contribué à la restauration d’édifices majeurs de notre patrimoine national tels que les cathédrales du Mans et de Strasbourg, ce qui m’a valu une certaine notoriété en France et au-delà de nos frontières, au sein du Conseil international des monuments et des sites. Mon intérêt s’est progressivement porté sur l’architecture du XXe siècle, domaine dans lequel j’ai mené de nombreuses études et interventions.
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Comment avez-vous rencontré l’architecture d’Auguste Perret ?
En 1991, j’ai intégré l’Académie d’architecture où j’ai fait la connaissance de Marion Tournon-Branly, architecte et enseignante, qui avait été inscrite à l’atelier d’Auguste Perret à l’École des Beaux-Arts. Elle m’a alors proposé de l’accompagner au sein de l’association fondée après le décès du maître, dont le siège se trouvait dans son ancien appartement à Paris. Cet espace a été offert par notre association à l’Académie des Beaux-Arts en 2021. En 2002, nous y avions préparé la grande exposition « Perret, la poétique du béton » présentée au Havre, qui a marqué les esprits. Ensuite, j’ai approfondi mes recherches sur son travail.
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Qu’est-ce qui vous interpelle le plus ?
Pour apprécier pleinement l’apport d’Auguste Perret, il est essentiel d’étudier ses réalisations, qu’elles soient à Paris ou au Havre. Elles révèlent une grande maîtrise de l’architecture moderne. J’aimerais que ses œuvres les plus significatives puissent être reconnues au titre du patrimoine mondial de l’UNESCO, à travers une sélection d’édifices qui conjuguent inventivité, qualité formelle et excellence technique. Je pense à la salle Cortot, au Théâtre des Champs-Élysées, au Palais d’Iéna, au Mobilier national… Lors de l’inscription du Havre à l’UNESCO, l’urbanisme était mis en avant, à juste titre. Aujourd’hui, on reconnaît davantage la valeur architecturale individuelle de certains édifices, comme cela a été le cas pour Le Corbusier en 2016.
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Aimeriez-vous que l’œuvre d’Auguste Perret soit, elle aussi, classée ?
Ses édifices incarnent une approche innovante par leur économie de matière, leurs structures performantes, souvent leurs dimensions, leur magie. Je pense que, à l’instar du centre-ville reconstruit, des bâtiments emblématiques tels que l’église Saint-Joseph ou l’Hôtel de Ville méritent une reconnaissance accrue à l’échelle internationale. Les autres réalisations d’Auguste Perret devraient également bénéficier de l’attention que procure l’inscription au patrimoine mondial, notamment parce qu’elles ont contribué à concevoir et à mener à bien le projet de reconstruction du Havre.
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Quel rôle joue l’architecture d’Auguste Perret pour les jeunes générations de bâtisseurs ?
Aujourd’hui, les écoles d’architecture rejettent le béton et le ciment, au profit de matériaux comme le bois, la terre cuite ou la terre crue. Cette perception contraste avec les pratiques des années 1950, notamment celles mises en œuvre par André Lurçat ou Auguste Perret. Entre 1933 et 1953, ce dernier a développé un système poteau-poutre-dalle fondé sur une maîtrise fine du matériau et le choix rigoureux des granulats, permettant d’obtenir des bétons à la fois durables et soignés sur le plan esthétique. C’est grâce à cette approche que la reconstruction du Havre a pu être menée rapidement, tout en conservant ses qualités jusqu’à aujourd’hui.