Ghyslaine Rouvillain, enfant de la Libération

« J’ai vu Le Havre détruit de mes propres yeux. Depuis la place Thiers, on voyait la mer. »

Portrait
Publié le 3 mai 2025

Née au Havre en 1933, Ghyslaine Rouvillain s’est réfugiée à Bolbec avec ses parents pendant l’Occupation allemande. À l’occasion de la cérémonie commémorative du 8 mai 1945, elle partage ses souvenirs d’enfance.

  • Quelle image retenez-vous de ces années de guerre ?

Celle des avions… À Bolbec aussi, nous avons été mitraillés par les Anglais. Mon père n'aimait pas trop les avions. Je me souviens qu’il disait : « Je les entends décoller d’Angleterre. » Et c'était vrai, il avait ce pressentiment. Alors, comme s’il était un peu devenu la Madame Irma du camp de réfugiés, les gens venaient lui demander : « Monsieur Martial, est-ce qu’on va en avoir ? » « Non, non, non, il n'y en aura pas aujourd’hui », répondait-il pour les rassurer.

  • Quels souvenirs avez-vous de la Libération du Havre ?

Pendant toute la guerre, mon père n'avait qu'une hâte : revenir au Havre. Et puis, juste avant la Libération, il y a eu le bombardement qu’on a entendu depuis Bolbec. Ce jour-là, on était au cinéma. En pleine séance, mon père a dit : « Il se passe quelque chose, il y a des avions ! » On lui a répondu : « Mais non, c'est dans le film ! » En sortant, il s’est précipité à la maison pour écouter la radio, grâce à un poste qu’il gardait caché en haut de l’armoire. Et on a eu la confirmation : Le Havre avait été détruit. Il avait bien entendu. Certains trouvaient cela positif, parce que cela signifiait que la ville allait être libérée. Mais mon père n’était pas de cet avis : « Vous ne vous rendez pas compte de ce qui est en train de se passer… »

  • Avez-vous vu Le Havre détruit de vos propres yeux ?

Mes parents ont tenu à ce que je voie ça. Huit jours après le bombardement, nous avons pu prendre un train pour Le Havre. C'était affreux. Depuis la place Thiers, on voyait la mer. Le jardin Saint-Roch s'était transformé en cimetière. J’ai vu des flaques de sang et, à certains endroits, ça fumait encore. C'est resté longtemps dans cet état avant d'être déblayé. Je ne me souviens pas avoir vu mes parents pleurer mais ils étaient très choqués.

  • Dans quel état avez-vous retrouvé vos maisons ?

Ma grand-mère habitait au quatrième étage d’une maison à moitié détruite. Je me souviens de la cuisinière qui pendait encore dans le vide. Puis, il y a eu des pillages. Il fallait même un permis pour fouiller les décombres, y compris ceux de sa propre maison. Ma grand-mère avait mis sa belle vaisselle dans une grande malle : tout a été broyé, sauf la statuette blanche (ndlr : présente sur la photo ci-dessus) qui a été retrouvée par mon père dans les ruines. Elle a descendu les quatre étages quasiment sans impact. C’est formidable de se dire qu'elle a survécu aux bombardements. Elle est devenue l’héritage de ma grand-mère, puis de mes parents et maintenant le mien.

  • Quelle vie retrouvait-on au Havre après la guerre ?

Je me souviens des soldats américains. J’avais même couru entre leurs chars quand ils étaient passés à Bolbec, juste avant notre retour au Havre. Ils vivaient dans ce qu’on appelait les « camps cigarettes » : il y avait le Wings à Bléville, le Philip Morris à Gonfreville et le Herbert Tareyton à la forêt de Montgeon. Ils organisaient parfois des bals à la gare du Havre. On trouvait choquant que des gens y aillent danser… Ma famille et moi n’étions pas en deuil, nous avions eu de la chance, mais d’autres avaient tout perdu. Ma mère n’osait pas sortir le soir, on parlait des viols commis par des soldats américains. Ceux qui en étaient responsables ont été pendus.

  • Comment avez-vous repris le cours de votre vie suite à la Libération ?

Mon père a trouvé un logement au 14 de l'actuelle rue Gabriel Péri. Il a fallu faire quelques travaux pour qu’on puisse y vivre et il y a ouvert sa boutique d’artisan électricien. Il a aussi travaillé dans quelques magasins pendant la reconstruction, comme la Maison du Blanc, avenue Foch, qui vendait du beau linge de maison. Moi, je suis allée à l’école des Ormeaux, j’étais externe. Ma mère travaillait à la boutique de papa. Chaque année, elle assistait à la cérémonie d’hommage aux victimes des bombardements, avec les personnes qu’elle avait connues pendant la guerre. C’est cela, bien plus que le 8 mai, qui nous a véritablement marqués.

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Ce portrait a été initialement publié dans le magazine LH Océanes

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