Sabine Meier, photographe

« La photographie me pose des questions que je n’ai toujours pas résolues. »

Portrait
Publié le 29 janvier 2025

À 60 ans, l’artiste installée au Havre est lauréate de la bourse 50cc Air de Normandie, dédiée aux photographes professionnels. Ce soutien vise à accompagner le développement d'un projet créatif en cours. Rencontre.

  • Que représente pour vous en tant qu’artiste l’obtention de la bourse 50cc Air de Normandie ? 

Cette bourse, désormais décernée tous les deux ans, est portée par le Centre photographique Rouen Normandie, Le Point du Jour, centre d’art de Cherbourg-en-Cotentin, l’entreprise Cadre en Seine et l’Artothèque de Caen. C’est la première fois que le jury choisit une artiste plus âgée. C’est un geste fort. Quand j’étais jeune artiste, mes aînés étaient promus. Aujourd’hui, ce sont les générations plus jeunes… Or, même quand on a un réseau ou une galerie qui nous représente, on a besoin de rencontres, d’ouvrir des horizons, d’être déplacé, soutenu et entouré. Cette bourse représente un accompagnement humain et technique autour du projet que j’ai proposé au jury et qui, immanquablement, évoluera sous leur regard. 

  • Que pouvez-vous dire de ce projet ?

Le travail s’intitule Les Cellules. Il se place dans la continuité de la série précédente, Apories (les perspectives dépravées) qui avait donné lieu à l’exposition du même nom à la Fondation Matmut à Saint-Pierre-de-Varengeville, il y a deux ans. Il s’agit d’une série de constructions, comme de petites architectures, élaborées depuis l’appareil photo sur la visée duquel un dessin transparent est posé, qui se superpose à l’image que je vois dans l’appareil. Je construis l’espace dans l’atelier, avec des planches de contreplaqué, pour qu’il soit conforme au dessin. Et puis je le photographie. Il y a toujours un écart déroutant entre ce qu’on voit de la construction et son image photographique. C’est cet écart qui m’intéresse. De même qu’il y a un écart entre le monde que nous habitons et les représentations que nous en produisons. Nous vivons autant dans ces représentations que dans la réalité du monde. Le projet comporte aussi une série de dessins qui seront exposés conjointement aux photographies. 

  • Depuis quand la photographie est-elle votre mode d’expression artistique ? 

J’ai étudié à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, dans l’atelier de Christian Boltanski. J’ai d’abord suivi une formation de peintre, avant de me consacrer à la photographie. J’ai commencé cette pratique en essayant de documenter mes peintures. Et comme c’était toujours un échec, parce que ça ressemblait mais c’était tellement loin en même temps, je me suis acharnée. Ça questionnait ce médium dont je pensais qu’il était une prise du réel (on dit « prendre une photo »), qu’il était fidèle à ce qu’il y a devant l’appareil. Que ce serait mécanique, une simple reproduction du monde visible. 

En fait non, la photographie n’est pas documentaire. Elle métamorphose le réel en le saisissant. C’est cette résistance de la photographie à la ressemblance qui a fait de moi une photographe. Mon travail est une réflexion sur l’espace et sa représentation, de la Renaissance jusqu’aux artistes conceptuels et minimalistes. 

  • Ces questions étaient-elles déjà au coeur de votre exposition au MuMa, de décembre 2014 à mars 2015 ? 

Même si esthétiquement la série en cours Les Cellules et Portrait of a man (Rodion Romanovitch Raskolnikov) sont très éloignés, y compris dans la manière de travailler, le point commun entre les deux, c’est comment une image peut donner à voir un espace mental. Portrait of a man, c’est le portrait de l’intérieur d’une tête. Les espaces que je construis aujourd’hui, les photographies que j’en tire figurent ces espaces mentaux, en jouant sur notre perception. Ce sont presque des décors de théâtre. J’ai d’ailleurs travaillé avec une metteuse en scène pour une pièce présentée à Genève et à Bruxelles. Ça m’a beaucoup intéressée de rendre visible, par une scénographie, le trajet intérieur des protagonistes, leur pensée, leur métamorphose. La bourse 50cc est aussi une opportunité d’investir un autre territoire, l’autre côté de la Seine qui, paradoxalement, reste encore une frontière entre les « deux » Normandies, que des projets comme celui-ci contribuent à faire disparaître.

Ce portrait a été initialement publié dans le magazine LH Océanes

Sabine Meier

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