Sandra Mehl, photographe

« Depuis huit ans, je documente le destin des derniers habitants de cette île menacée de Louisiane où l’on parle encore français. »

Portrait
Publié le 28 avril 2025

Jusqu’au 17 mai, l’exposition documentaire « Fading into the blue. Louisiane, les premiers réfugiés climatiques des États-Unis » porte un regard humain et lucide sur les effets du changement climatique à l’échelle d’une île sur le point de disparaître.

  • Quel est votre parcours en tant que photographe ? 

Native de Sète, j’ai étudié les sciences humaines et sociales puis travaillé dans l’humanitaire, en Afrique de l’Ouest comme en France, dans les quartiers populaires. C’est à l’âge de 35 ans que la photo s’est imposée, parallèlement à mon désir d’apporter une part de documentation et de témoignage à mon travail. J’aurais pu écrire, mais j’avais le souhait d’être dans la captation directe et instinctive de ce qui m’entoure. Je suis très sensible à la couleur, peut-être est-ce dû au fait d’avoir grandi auprès des tissus utilisés par ma mère couturière. En photo, je travaille exclusivement en couleur. 

  • Comment votre activité a-t-elle pu débuter ? 

Je ne connaissais personne dans le monde de la photo, du journalisme ou de l’art. J’ai demandé un temps partiel à mon employeur pour mener des projets personnels, sans savoir ce qu’était un sujet, un angle, une histoire. J’avais envie de photographier par coup de cœur pour des lieux et des gens. Tout a débuté sur une plage de Sète avec l’appareil argentique que je m’étais payé. J’y ai documenté plusieurs étés avant de contacter des magazines. C’est en découvrant ce travail que L’Obs m’a proposé un portfolio de six pages. Cela m’a donné confiance quant à mon approche intuitive des sujets. Il y a eu ensuite quelques petites expositions. 

  • Et de nouveaux projets ? 

J’habitais Montpellier, en face d’un quartier gitan. J’ai eu envie d’y aller et j’ai eu le coup de foudre pour deux gamines qui avaient alors 10 et 11 ans. J’ai montré mon travail à leur mère et j’ai pu les photographier pendant cinq ans, projet que je continue d’ailleurs maintenant qu’elles ont atteint leurs 20 ans. Ce portrait de trajectoires de vies m’a valu de gagner la Bourse du Talent et ainsi d'exposer à la Bibliothèque nationale François Mitterrand, puis à Singapour et Milan. J’ai également été repérée par Le Monde, avec lequel je collabore depuis. Chaque projet ouvre sur de nouvelles opportunités ! 

  • Comment est né celui sur la Louisiane, présenté à la bibliothèque universitaire ? 

En 2016, je regardais un reportage sur cet état américain et j’ai eu un coup de cœur pour ce territoire, attirant par son côté romanesque et menaçant par sa nature. Ce rapport entre attraction et répulsion a aiguisé mon appétit artistique. En faisant des recherches, je suis tombée sur l’histoire de l’Isle de Jean-Charles. Elle a perdu 98 % de sa surface depuis 1955, en raison de la montée des eaux et de la fragilité de ses sols perforés par des dizaines de milliers de kilomètres de canaux destinés à acheminer le pétrole depuis les 4 000 plateformes implantées dans le golfe du Mexique. Là aussi, j’ai obtenu une bourse qui m’a permis de m’y rendre plusieurs fois. J’en suis à mon huitième voyage. 

  • En quoi consiste votre projet ? 

Je documente à la fois l’évolution de l’île et des gens qui l’habitaient ou l’habitent encore. Ils ne sont plus qu’une centaine. Autrefois, il y avait une église, des commerces, une école, un dancing… Tout cela a disparu mais vit encore dans les souvenirs des habitants, dans leurs photos. Certains ont aussi bénéficié de programmes de relogement ailleurs, ce qui en fait les premiers réfugiés climatiques des États-Unis, plus grande puissance mondiale ! Je suis tombée amoureuse de cet endroit et de ses habitants. Avec eux, je deviens même nostalgique d’un passé que je n’ai pas connu, celui où l’île était verdoyante et propice à une vie à l’américaine. J’ai été très bien accueillie, la nationalité française étant un atout pour ces gens dont certains parlent encore notre langue. Mon rêve désormais est de leur montrer cette exposition, mémoire des derniers instants de cette communauté.

À voir aussi

Ce portrait a été initialement publié dans le magazine LH Océanes

Toutes les infos sur l'exposition

e « Fading into the blue. Louisiane, les premiers réfugiés climatiques des États-Unis »